Hors programmes d’échanges, l’obtention d’un logement en cité U est encore plus compliquée pour les étudiants internationaux. Et lourd de conséquences. Sans adresse, ils ne peuvent se plier aux formalités nécessaires à leur installation. Pour les jeunes Africains, c’est la galère Noël Kruslin pour Corse Matin.
Sur le parvis de la faculté de droit, leurs pas perdus ressemblent à l’approche d’un cours, mais ils se prolongent souvent au-delà, jusqu’à l’heure du déjeuner. Ils ont l’air perdus, préoccupés, en proie au doute. Leurs mains serrent un smartphone qu’ils consultent régulièrement, sur lequel ils répondent, aussi, à de nombreux coups de fil. Les étudiants africains qui débarquent, au mois de septembre, à l’Université de Corse, ne sont pas des migrants. Leur arrivée sur le campus cortenais n’en demeure pas moins une aventure aux lendemains très incertains. Faute d’un logement…
Le souci pourrait paraître insignifiant tant cette problématique est récurrente sur une offre en cité universitaire depuis toujours inférieure à la demande. Mais pour les étudiants internationaux, l’intérêt d’avoir un pied-à-terre dépasse le seul confort d’une installation. Une adresse conditionne l’obtention et la confirmation d’un visa, l’indispensable ouverture d’un compte en banque.
Sans un logement, la machine administrative se bloque et plonge une partie de la communauté en déshérence. Les étudiants qui s’inscrivent en dehors de tout programme d’échanges, en marge des conventions de partenariat passées entre deux universités d’un pays à l’autre, ne sont pas prioritaires pour une chambre sur le parc locatif public du Crous. Ils sont donc les plus exposés. « Au moment où il prend contact avec l’Université de Corse, cet étudiant est informé, il sait donc par avance qu’il n’est pas le mieux placé, explique Angèle Ostiensi, responsable de l’accueil de la communauté internationale au Crous. Mais il brave les difficultés qui l’attendent, et une fois sur place, il galère. »
Une première question se pose toutefois, car ces étudiants ont bien fait le voyage. Ce qui veut dire qu’une adresse synonyme de visa figure bien dans leur dossier. Certaines seraient fictives, mais au regard des étudiants que nous avons pu rencontrer, les explications sont diverses et variées. En provenance de son Tchad natal, Mahamat, 21 ans, assure avoir réservé un logement avant de s’envoler pour la Corse, mais… « À l’aéroport Charles-de-Gaulle, ma valise n’a pas suivi. Elle contenait toutes mes affaires, et de l’argent liquide qui devait me permettre de verser un premier paiement pour ma location. Comme je n’ai pu payer, le propriétaire a attribué le logement à quelqu’un d’autre. » Olive, 23 ans, a quitté Abidjan avec l’assurance d’un logement. « En colocation avec une amie béninoise de ma grande sœur. Mais au dernier moment, elle m’a informée qu’elle avait lâché sa location car elle venait d’être retenue dans une autre université où elle avait postulé. » À l’évidence, la quête d’une solution dans le parc locatif privé n’a pas porté ses fruits. Deux autres étudiants ivoiriens, Mohammed et Jean-Samuel, ont heurté le mur pour d’autres raisons. « J’avais un contrat de bail pour une colocation, assure Mohammed, mais mon colocataire n’a pas fait le déplacement. Il n’a pas eu son visa. » Un problème de contrat de bail a également privé Jean-Samuel d’un pied-à-terre sur Corte. Il espère malgré tout décrocher bientôt son logement. « À la grâce de Dieu. »
Jusqu’à la Corse, via Campus France
En attendant, le temps de la débrouille bat son plein. Ils profitent d’un hébergement provisoire, souvent chez un compatriote qui étudie à l’Université de Corse depuis quelques années déjà, mais les premières nuits ont été difficiles pour certains. Presque à la belle étoile… « J’en ai passé deux dans la salle de repos des étudiants, au Crous », avoue Mahamat. Olive est hébergée elle aussi, mais sur Ajaccio. « Je prends le train tous les matins à 7 h 40, et en fin d’après-midi pour rentrer », soupire celle qui se sent déjà gagnée par la fatigue alors que les cours ont à peine commencé. Sans parler des soucis financiers, communs à tous ces étudiants africains primo-entrants.
« Ils arrivent avec du liquide, une somme qui varie entre 50 et 600 euros, confie Marc-Paul Luciani, le directeur du Crous. Mais la plupart ne sont pas conscients de la différence du coût de la vie par rapport à leur pays. » Fort heureusement, le Crous et l’université actionnent tous les leviers de l’urgence sociale au sein de leurs services compétents, avec le concours de la commune. Aide financière d’urgence, tickets service, droit à l’exonération des frais d’inscriptions, tout y passe, à commencer par la veille permanente sur la question de l’hébergement, car le provisoire ne dure souvent qu’une ou deux nuits. À l’instar d’Angèle Ostiensi qui, depuis la rentrée, garde le contact avec une poignée d’étudiants en difficulté, Sophie Rossi s’efforce de faire de même. Non sans difficulté. « Nous avons aussi l’option des chambres d’hôtels, mais en ce moment, tout est complet sur Corte », regrette l’assistante sociale de l’université.
Le contexte n’a rien de nouveau. Corse-Matin l’évoquait déjà à la rentrée 2017 durant laquelle une bonne vingtaine d’étudiants, presque toujours des Africains, connaissaient les mêmes difficultés. Mais pourquoi eux ?
« Les étudiants africains ont toujours été nombreux chez nous, observe le directeur du Crous qui ne manque pas de souligner leur état d’esprit. Ce sont des jeunes qui veulent réussir, qui savent vers quelles difficultés ils vont en partant, mais nombreux sont ceux qui se disent que ça sera toujours mieux que ce qu’ils vivent chez eux. » Angèle Ostiensi adhère à l’analyse, et affine l’explication. « Je me suis toujours demandé comment des étudiants issus de pays si lointains pouvaient se retrouver à l’Université de Corse. En fait, ils passent tous par l’organisme public Campus France grâce auquel ils ont de nombreuses options. Mais d’après les témoignages, notre université est souvent la seule à répondre favorablement à leurs demandes d’admission. » Les intéressés, quant à eux, reconnaissent le recours à Campus France, mais certains affirment avoir eu le choix. « Mon dossier a été accepté dans 6 universités, mais j’ai opté pour la Corse parce que j’étais intéressé par le master droit des collectivités territoriales, affirme Mohammed. Ce diplôme m’a plu parce qu’il est lié à l’histoire de la Corse et qu’il permet vraiment de travailler sur une réalité locale. » Ils sont nombreux, ces étudiants-là, à avoir opté pour la faculté de droit. Tous ont un projet professionnel qui doit les ramener dans leurs pays. Mohammed aimerait travailler en tant que juriste dans une collectivité, mais il est également attiré par le métier d’avocat et par l’enseignement. Son ami Jean-Samuel souhaite être juriste dans le monde de la banque. Mahamat rêve de devenir médiateur, Olive de faire carrière dans l’administration du Trésor Public. Elle attend une aide financière de sa famille mais ne veut pas trop inquiéter les siens. « Mon père fait de l’hypertension, je dois le ménager. »
Depuis ses débuts au Crous qui sont déjà loin, Angèle Ostiensi a fini par comprendre, avec le temps et l’expérience, que ce profil d’étudiant, malgré la déshérence des premiers jours, finit toujours par s’en sortir. « J’ai en tête de très bons exemples de parcours brillants. Ils ne sont pas ceux qui se découragent le plus vite. En général, ils finissent toujours par s’installer durablement, et par réussir dans leurs études. »