Des goulets d'étranglement administratifs pousse les étudiants étrangers dans l'illégalité

Des étudiants étrangers (hors de l’Union européenne) se retrouvent aujourd’hui sans-papiers. L’an dernier, le système de renouvellement des titres de séjour a été remplacé par une plate-forme en ligne. Les délais d’attente ont été terriblement rallongés, plongeant toute une population déjà précaire dans l’illégalité. Article signé Nina Soyez pour TV5 Monde.

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« Ils veulent une vague de suicide ou quoi? On est aussi bons que les étudiants français. On a autant de compétences. » Au téléphone, Clarisse* a du mal à contenir son angoisse. Elle tente de retrouver sa respiration entre deux sanglots. La jeune étudiante gabonaise de 27 ans essaie de boucler son master en marketing. Elle est à bout. Elle attend toujours depuis deux mois son titre de séjour ou à défaut, un simple récépissé qui lui permettrait de séjourner légalement en France. Déjà l’an dernier, TV5MONDE alertait sur cette situation.

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La jeune femme a pourtant fait sa demande dans les 2 mois qui précèdent la date d’expiration de sa carte de séjour, comme l’administration lui demande. Mais depuis la dématérialisation du processus de renouvellement en septembre 2020, certains étudiants se retrouvent à attendre plusieurs mois leur nouveau titre de séjour. Aujourd’hui, Clarisse ne peut plus prouver sa situation régulière. Elle a perdu son travail d’assistante d’éducation dans un collège. Celui-ci lui permettait de financer son loyer et sa nourriture. Elle s’est retrouvée à demander de l’argent à ses parents, elle qui a toujours réussi à être autonome. Elle a dû quitter son appartement. Elle se fait actuellement héberger par une amie qui a accepté qu’elle vive chez elle un temps.

Après un an et demi, on se rend compte que le gouvernement n’arrive toujours pas à nous remettre nos papiers dans les délais. Christian, étudiant congolais à la Sorbonne

Une spirale que n’a pu éviter Clarisse : « Jusqu’ici, je pouvais garder ma chambre parce que je bénéficiais des aides personnalisées au logement (APL). Mais quand vous n’avez plus de papiers, vous n’avez plus d’aide. Petit à petit, vous amassez les dettes, déjà qu’on gagne pas beaucoup d’argent avec nos petits boulots… Entre étudiants étrangers, on reste solidaire. Il nous arrive de se passer un petit 5€, d’aller au Secours populaire. Mais quand on est dans la légalité, ça ne devrait pas se passer comme ça! »

Fin des rendez-vous à la préfecture

Mars 2020, le premier confinement bouleverse la vie des Français. Les différents établissements de service public essaient d’adapter leur fonctionnement à la crise sanitaire. Certaines préfectures suppriment la plupart des rendez-vous en présentiel, surtout ceux concernant les démarches de renouvellement de droit de séjour.

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Les étudiants étrangers qui voyaient leur titre arriver à terme se voient alors accorder un délai supplémentaire de quelques mois. Très vite, les rendez-vous en préfecture sont remplacées par démarche à faire en ligne. Cette modalité devait rester temporaire. Elle marque le début de la dématérialisation des démarches liées au droit au séjour. Selon le ministère de l’Intérieur, l’objectif de ce nouveau service est de contribuer « à l’attractivité du territoire français pour les étudiants étrangers et à la simplification de leurs démarches. »

C’est ma première année et je suis trop perdu. Je ne sais même pas à qui m’adresser exactement, ou quel service. Tout ça me stresse. Sylvain, étudiant en sciences de l’environnement à Paris et originaire de Zambie

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Christian*, étudiant congolais en communication n’a pas tout de suite perçu ce changement d’un mauvais œil . « On était content parce qu’on se disait que c’était une innovation qui nous épargnerait de faire la queue devant les préfectures. » Mais les dysfonctionnements se sont vite imposés. « Il y a eu rapidement des bugs. Certains ont attendu plusieurs mois leur récépissé (NDLR : document provisoire de séjour qui permet de séjourner sur le territoire français durant l’examen du dossier ). Pour avoir accès aux aides, aux bourses, pouvoir renouveler son contrat de travail, se déplacer en France et au sein de l’Union européenne, vous devez avoir un titre de séjour valide. » souligne l’étudiant.

Christian avec plusieurs étudiants fait remonter cette situation auprès du ministère. Une nouvelle fois, le mot d’ordre était d’attendre. « Le gouvernement a répondu que c’était dû au temps d’adaptation du nouveau système. Mais après un an et demi, on se rend compte que le gouvernement n’arrive toujours pas à nous remettre nos papiers dans les délais. »

L’étudiant en vient à regretter le système d’avant : « On pouvait prendre rendez-vous 2 à 3 mois à l’avance à la préfecture. Une fois la demande déposée, on recevait notre récépissé sur place. Dans certaines facultés, il y avait même des agents du ministère de l’Intérieur qui étaient envoyés pour prendre en charge les dossiers des étudiants. Aujourd’hui, à chaque fois que je demande où en est mon dossier, on me répond qu’il est en cours d’instruction. Je ne suis en possession que d’un simple accusé de réception »

Une situation face à laquelle le ministère de l’Intérieur se défend par des chiffres. « Depuis septembre 2020, 182 568 demandes ont été déposées et 134 619 titres ont été délivrés avec un délai moyen de traitement de 37 jours » selon le ministère.

Obligation de quitter le territoire français

L’ensemble des étudiants contactés par la rédaction de TV5MONDE attestent travailler en parallèle de leurs études afin de subvenir à leurs besoins. Christian lui ne peut plus se rendre sur son lieu de travail. « J’avais un petit travail dans un collège de Drancy. Mais depuis le 5 novembre je ne peux plus travailler. La secrétaire m’avait dit qu’au retour des vacances de la Toussaint, il fallait que je ramène mon titre de séjour. Je me disais que ça allait le faire, mais ça n’a pas été le cas. À l’heure où je vous parle, je devrais être au collège, en train de travailler. » Si Christian a pu payer son loyer le mois dernier parce qu’il pouvait encore travailler, il ne sait pas comment il va faire pour ce mois.

Le temps passe, et certains se retrouvent avec une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) parce qu’on leur reproche de ne pas respecter les délais. Imane Ouelhadj, vice-présidente de l’UNEF

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Pour Sylvain*, arrivé fraîchement de Zambie en septembre pour commencer sa troisième année de licence en sciences de l’environnement à Paris Diderot, les démarches administratives ont rapidement dérouté le jeune homme : « C’est ma première année et je suis trop perdu. Je sais ne même pas à qui m’adresser exactement, ou quel service. Tout ça me stresse. »

Dès son premier mois en France, Sylvain n’a pas pu payer son loyer, lui qui avait trouvé un travail d’assistant d’éducation dans un collège : « Je loge chez l’habitant. J’ai un loyer de 400 euros. Je lui ai rapidement tenu au courant de ma situation et lui ai dit que j’étais coincé parce que mon titre n’est plus valide. Il m’a compris au début, mais ces derniers jours il me demandé de faire quelque chose parce qu’il ne peut pas supporter mes impayés. Il a dit que ça ne pouvait plus se passer allait comme ça. Il va probablement se trouver quelqu’un d’autre bientôt. »

Les syndicats d’étudiants sont bien au courant de cette situation, nous confirme Imane Ouelhadj, vice-présidente de l’UNEF : « Depuis la rentrée on est contacté partout en France sur ces questions. On a alerté très récemment le gouvernement sur le fait que les démarches étaient très compliquées et que ce n’était pas un problème à la marge. » Les délais imposés par le ministère de l’Intérieur amènent parfois à des situations très alarmantes : « Tout le monde se renvoie la balle sans donner de réponse sur l’étudiant. Le temps passe, et certains se retrouvent avec une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) parce qu’on leur reproche de ne pas respecter les délais. »

Un tel avenir précaire affectent lourdement les étudiants jusqu’à leur santé mentale témoigne Clarisse, étudiante du Gabon : « J’en connais qui ont fait des dépressions. Moi, je n’ai pas l’argent pour payer un psy mais j’ai déjà fait des crises d’angoisse. » Une situation « injuste » déclare la jeune femme pour « ces petites mains qui font tourner l’économie », « Les petits jobs que vous voyez chez MacDo, Monoprix, Auchan, majoritairement ce sont des étudiants étrangers. On paie tous nos impôts, nos factures. Il y a rien de gratuit pour nous ici. »

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Alerte de la défenseure des droits

Après avoir été saisie par une réclamation, la défenseure des droits Claire Hédon s’était déjà exprimé en 2020 pour alerter sur les « difficultés rencontrées par une personne pour déposer une demande de titre de séjour ». La défenseure avait alors statué que ces « procédures dématérialisées défaillantes aboutissent à ce que des étrangers soient maintenus dans une situation précaire, voire placés dans une situation irrégulière, alors même qu’ils disposent de l’ensemble des éléments leur permettant de déposer une demande de titre de séjour. »

Capture d’écran de la dernière étude de Campus France sur les « chiffres clés » de la mobilité étudiante dans le monde montrant la répartition des étudiants étrangers en France par région d’origine et évolution (2014-2019)

La jurisprudence a même statué de l’illégalité de la dématérialisation. Le 18 février 2021, le tribunal administratif de Rouen jugeait que « obligatoire ou non, la dématérialisation des démarches liées au droit au séjour était tout simplement illégale, puisque les textes excluent ces démarches du champ des procédures dématérialisables. Mais en pratique, nombre de préfectures continuent de rendre l’usage du numérique obligatoire pour l’accès au séjour, mais sans rendez-vous disponibles. »

La crise sanitaire a toutefois entériné la dématérialisation. Pourtant, les étudiants étrangers font partie des populations les plus touchées par les effets du confinement selon l’enquête de l’observatoire de la vie étudiante (OVE) « Une année seuls ensemble. Enquête sur les effets de la crise sanitaire sur l’année universitaire 2020-2021. « Les étudiants étrangers, par l’éloignement de leur famille et leurs conditions de vie et de travail plus précaires, apparaissent ainsi comme les grands perdants de la crise sanitaire. » conclut le rapport.

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53% des étudiants étrangers ont présenté des signes d’une détresse psychologique pendant la crise sanitaire.

Observatoire de la Vie Étudiante

Selon l’OVE toujours, « les étudiants étrangers font partie de ceux qui ont subi les pertes les plus importantes, estimées à 426 € par mois en moyenne » et « 52 % d’entre eux ont rencontré des difficultés financières importantes ou très importantes (contre 20 % des étudiants de nationalité française) ». Par ailleurs, « 53% ont présenté des signes d’une détresse psychologique. »

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Pour autant, selon les derniers chiffres clés de Campus France, le nombre d’étudiants étrangers serait encore en progression (+ 23 % sur les cinq dernières années). Ils seraient environ 370 000 aujourd’hui à étudier en France, dont 23% d’origine d’Afrique subsaharienne (c’est la première zone d’origine des candidatures). Un choix de vie que ne regrette pas Christian, malgré la situation précaire dans laquelle il se trouve : « Quand je suis arrivé en France j’étais timide, car je viens d’un État où la liberté d’expression est muselée. Ici, j’ai appris qu’il faut faire valoir ses droits. C’est pour cela, qu’aujourd’hui, je voudrais que le gouvernement et le ministère de l’Intérieur entendent ce qu’on a lui dire. »

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Nina Soyez

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