Thierry NYAMEN : Né « pour Échouer » OU « pour Réussir »?

Une critique du livre présenté comme « autobiographie officielle » de l’industriel camerounais.

Mercredi 31 mai 2023. À exactement 8h12, je reçois un message d’une amie :

« Bonjour Andrew, je serai à Paris ce week-end pour la 2ᵉ édition d’Apéro Business. Je t’offre une place VIP si tu es disponible. »

Apéro Business, place VIP offerte… Qui suis-je pour refuser une telle proposition ? D’abord réticent, je me suis dit : "Why not ?". Organisé par Yann Amon, cet événement était prévu pour le samedi 3 juin 2023, au Novotel Paris 17. Même si l’idée de participer ne m’emballait pas au début, le lieu prestigieux et le précieux passe VIP offert par mon amie ont suffi pour me convaincre. J’ai donc décidé de libérer mon après-midi. Ne me demande pas ce que j’avais de prévu sur mon agenda !

Un événement, des balivernes.

Le jour venu, j’arrive à l’événement… et quelle déception : immobilier par-ci, immobilier par-là… Rien de concret sur comment devenir milliardaire en euros. Mais bon, ne soyons pas trop durs. Mon objectif ici n’est pas de critiquer l’événement en lui-même – franchement, je n’ai pas le temps.

Cependant, un des intervenants a capté mon attention : Valère Belias. Étudiant en 6ᵉ année de médecine, fondateur de la maison d’édition Les Éditions Argenlivre, promoteur de Le Week-end de l’Écrivain et du programme Plume d’Élite. Ce dernier, selon lui, aurait “révolutionné le monde de l’écriture” en accompagnant, depuis plus de 5 ans, des entrepreneurs visionnaires de la diaspora dans l’écriture de livres à impact.

Il a déclaré – et je cite – : « Ma vision est de hisser cet événement au niveau du Festival de Cannes. » Là, ça me parle. Je me suis dit : « Au moins, quelqu’un qui ose rêver grand, comme le pasteur Martin Luther King Jr avec son fameux ‘I Have a Dream’. » En même temps, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment il parvenait à concilier une formation médicale, que l’on sait exigeante, avec toutes ces activités. Mais bref, tu me diras : « Occupe-toi de tes oignons. »

L’achat fatidique

À la fin de l’événement, j’ai saisi l’occasion d’acheter deux livres édités par Argenlivre, pour me faire ma propre idée. Voir de mes propres yeux cette fameuse “révolution du monde de l’écriture.” J’ai donc acheté :

  • Né pour échouer, présenté comme “l’autobiographie officielle” de l’industriel camerounais Thierry Nyamen. Le titre m’a tout de suite intrigué : comment quelqu’un peut-il être « Né pour échouer » ?
  • Vendre comme un sniper, écrit par Valère lui-même.

En sortant de la salle, j’achète également Sandrine, La Résiliente - De “sans-papiers” à Marraine républicaine, un autre livre présenté comme une “autobiographie”. Notons qu’il n’y a pas de mention “officielle” cette fois-ci. Pourquoi ? Mystère.

Déception : un euphémisme

En tant qu’amateur de littérature ayant savouré des œuvres comme Tout seul de Raymond Domenech, Une terre promise de Barack Obama, Mandela d’Anthony Sampson, Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela, Devenir de Michelle Obama, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr ou encore L’enfant noir de Camara Laye… dire que j’ai été déçu par Né pour échouer serait un euphémisme. Déconcerté, vexé, frustré… les mots me manquent. Mais avant de vous expliquer pourquoi, faisons un détour par la mécanique, une des passions de Nyamen.

La mécanique mal huilée de l’autobiographie

Dans la conception d’une structure mécanique, plusieurs étapes et éléments doivent être pris en compte. L’une des phases cruciales, déterminantes même, est le dimensionnement. Cette étape garantit que la structure pourra supporter la charge utile, c’est-à-dire les charges externes qu’elle doit porter, tout en prenant en compte son propre poids. L’effondrement du pont de Tacoma (1940) reste un exemple classique d’une structure mal dimensionnée.

Pour dimensionner une structure, plusieurs approches sont possibles. L’une d’entre elles est la modélisation par éléments finis. Ici, le mot-clé est “éléments”. L’ingénieur découpe la structure en petits éléments fictifs, qui, ensemble, représentent la structure. Ces éléments peuvent prendre différentes formes : barres, poutres, plaques, coques ou volumes. Le choix de l’ingénieur dépend de la géométrie de la structure et des conditions de son chargement. Cependant, ce choix doit être justifié. Si, par exemple, l’ingénieur décide d’utiliser des éléments de type poutres, mais que l’inspecteur trouve des plaques ou des coques dans la modélisation, cette dernière est automatiquement disqualifiée.

Dans le domaine littéraire, les “éléments” peuvent être comparés aux genres littéraires : roman, nouvelle, poésie, théâtre, essai, biographie, mémoires, autobiographie, etc. Lorsqu’un auteur décide d’écrire un livre, il choisit – souvent en collaboration avec son éditeur – le genre auquel appartient son œuvre. Ce choix aide, entre autres, le libraire à savoir dans quel rayon classer le livre. Bien sûr, certains auteurs font le choix audacieux de ne pas inscrire leur œuvre dans un genre spécifique. Par exemple, dans Souriant dans les épreuves, j’ai volontairement laissé le soin à mes lecteurs de décider eux-mêmes dans quelle catégorie classer le livre. Cependant, j’ai toujours refusé de le qualifier d’autobiographie.

Le fond : une histoire très mal exploitée.

Thierry est né dans une famille extrêmement pauvre. Sa mère, tombée enceinte hors mariage à l’âge de 15 ans – un véritable “crime” dans son contexte social – fut contrainte d’épouser un homme qui accepta, non sans arrière-pensée, de reconnaître l’enfant comme le sien. Dans la maison de son beau-père, Thierry a grandi dans la souffrance. Il était constamment battu, comme du foufou que l’on refuse de laisser cuire. Malgré ces épreuves, il brillait à l’école, démontrant une intelligence hors norme qui lui a permis d’obtenir une bourse pour étudier en Russie.

Une fois en Russie, l’histoire devient encore plus sombre. Thierry aurait été violé par une “cougar” tombée sous son charme, mais grâce à une stratégie ingénieuse – et un peu de chance – il a su s’en sortir. Le contexte politique de l’époque, marqué par la désintégration de l’Union soviétique, a également joué en sa faveur. Déclaré mort à deux reprises, d’abord à Bangangté, puis en Russie, on pourrait croire que le sorcier ne voulait rien de moins que son âme. Mais, à chaque étape, Thierry a su braver l’impossible pour s’imposer.

Mais alors, était-il vraiment “né pour échouer” ? “Chez Argenlivre, nous savons que le livre, c’est deux choses : le titre et la couverture.” (Vendre comme un Sniper, p. 84). Le titre, je dois l’admettre, est audacieux. Mais à sa lecture, j’ai immédiatement su qu’il y avait un problème. Comment quelqu’un peut-il être “né pour échouer” ? Après avoir remporté la course contre des milliards de spermatozoïdes, comment peut-on être prédestiné à l’échec ?

J’ai voulu comprendre ce choix. La réponse, je l’ai trouvée dans Vendre comme un Sniper : “Né pour réussir” aurait été trop banal et moins intriguant que “Né pour échouer”. Encore que…Sur le plan sémantique, l’affirmation est totalement absurde. Existe-t-il des conditions objectives où un être est réellement “né pour échouer” ? À chacun sa réponse. Mais la vie même de Thierry Nyamen prouve que la réponse est non. Une histoire riche en péripéties, à fort potentiel narratif, mais qui manque cruellement de profondeur et d’authenticité dans le traitement.

Le péché originel : la forme

Le problème fondamental commence effectivement avec cette prétendue « autobiographie officielle ». En mécanique, chaque choix impose des contraintes, et le degré de liberté s’impose implicitement en fonction des éléments de modélisation choisis. En littérature, c’est la même logique : lorsqu’un auteur annonce que son ouvrage est une autobiographie, il doit se conformer aux exigences inhérentes à ce genre, au risque de rompre le contrat implicite avec le lecteur.

Ce contrat, défini par le théoricien Philippe Lejeune, repose sur le pacte autobiographique, qui stipule qu’une autobiographie est « le récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » En d’autres termes : on raconte sa vie, rien que sa vie, avec sincérité et cohérence. Le choix du genre autobiographie aurait dû imposer une structure rigoureuse et un respect des règles du genre, mais le livre s’éparpille, laissant le lecteur dérouté face à une œuvre qui, finalement, ne sait pas ce qu’elle veut être.

Des conseils… hors sujet

Voici quelques extraits pour illustrer :

« J’aimerais que vous reteniez une seule chose : si la vie vous jette des pierres, utilisez-les pour construire des maisons et devenir riche. »
D’accord, mais… et le terrain ? La vie me le donnera aussi ? Construire une maison nécessite bien plus que des pierres.

« Bien équiper votre studio pour qu’il donne l’impression de vivre toujours en Europe. » (p. 111)
Si l’objectif est de toujours avoir l’impression d’être en Europe, alors pourquoi rentrer au pays ? Cette injonction donne l’impression que le retour est un échec à compenser. Pourtant, rentrer chez soi devrait être une source de fierté, pas un rappel d’un supposé paradis perdu.

« S’acheter un véhicule neuf, climatisé, qui sent bon. » (p. 112)
Très bien, mais… où est l’argent ? Est-ce une injonction ou un conseil réservé à une élite ?

« 11 conseils pour devenir industriel. » (p. 147)
Et pour ceux qui ne veulent pas devenir industriels ?

Pardonnez-moi, mais que viennent faire ces conseils dans une autobiographie ? Si Thierry Nyamen ou son éditeur voulaient donner des astuces de vie, pourquoi ne pas avoir opté pour un guide en développement personnel ou encore un livre interview ? Clairement, l’éditeur n’a pas compris les règles du genre. Un dilettantisme flagrant. De surcroît, des erreurs de base (comme l’absence de prix sur la couverture, pourtant exigée par la loi Lang en France) trahissent un amateurisme inquiétant pour une maison qui prétend « révolutionner la littérature africaine ». Cheikh Anta Diop, n’avait-il pas raison en disant "le seul combat qui mérite d’être mené, c’est le combat pour l’Afrique” ?

Le verdict : un gâchis éditorial

Thierry Nyamen méritait mieux. Son parcours, aussi inspirant soit-il, est gâché par une narration pauvre et des choix éditoriaux maladroits. On donne de l’or à un enfant naïf qui ne sait pas en révéler la valeur. L’œuvre aurait pu être un classique, comparable à L’Enfant noir de Camara Laye ou Les Rêves de mon père de Barack Obama. Mais entre un éditeur apparemment plus préoccupé par l’argent que par l’art (argent-livre, quelle ironie !) et un manque flagrant de rigueur, une caricature mal ficelée, sans profondeur ni respect pour l’art de l’écriture, le résultat est déplorable.

“Beaucoup de jeunes entrepreneurs pensent que leur premier job consiste à concevoir un produit d’une qualité remarquable. Mais il y a ceux qui font de la malbouffe et génèrent des milliards d’euros.” (Vendre comme un Sniper, p. 10). Traduction ? La seule chose qui compte pour Argenlivre, c’est de vendre de la “malbouffe”. Et c’est ainsi qu’ils pensent atteindre le niveau du Festival de Cannes ? Valère Belias, qui prétend révolutionner la littérature africaine, aurait dû commencer par le b.a.-ba : un benchmark sérieux auprès des classiques. Mais apparemment, entre deux cours de médecine, il a dû rater celui sur l’importance de l’excellence littéraire. Résultat ? Une « révolution » qui ressemble davantage à une course à l’argent facile. Écrire pour l’argent est une chose ; écrire n’importe quoi en est une autre.

Conclusion : né pour s’améliorer

Thierry Nyamen, vous n’êtes pas né pour échouer. Mais avec une telle autobiographie, on pourrait presque y croire. Quant à Argenlivre, si vous voulez vraiment révolutionner la littérature, commencez par respecter les lecteurs et le métier. Un livre mal écrit n’est pas seulement un manque de respect pour l’auteur, mais pour tous ceux qui, comme moi, s’attendaient à une œuvre digne de ce nom.

En littérature comme en ingénierie, choisir un modèle (ou un genre) impose de s’y tenir avec discipline. Ici, Argenlivre trahit son pacte avec le lecteur, insulte son intelligence et néglige les règles de l’art. Au final, Né pour Échouer porte bien son titre. Non pas à cause de Thierry Nyamen, mais en raison d’une exploitation bâclée de son histoire. Valère, si révolutionner la littérature africaine fait partie de tes ambitions, commence par faire tes devoirs. La révolution ne passe pas par les raccourcis.

Efuet Atem
Ingénieur, Auteur de Souriant dans les épreuves,
CEO, Fondateur, World like Home.
Le bonheur est gratuit !

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