A l’énoncé de ces deux thématiques, une suite d’interrogations, d’interpellations et d’interprétations inondent l’esprit. Rentrer en Afrique quand on a achevé ses études à l’étranger. Que vaut cette question pour celui qui a clôturé son cursus universitaire, il y a 15, 20, 25 ou 30 ans et plus au regard des circonstances d’alors et à la lumière de l’environnement d’aujourd’hui ? Quelle portée a cette interrogation pour un étudiant fraichement diplômé dans une spécialité non ou insuffisamment exploitée en Afrique aujourd’hui ? Quelle idée un jeune étudiant se fait-il de cet ancien qui a dû s’installer « provisoirement » à l’étranger, au terme de ses études, et qui semble s’être enraciné au point et au risque d’être regardé tantôt comme un traitre ou un lâche, tantôt comme une personne ayant réussi ses études ou sa vie?
Plutôt qu’une élimination exclusive, j’ai tenu à répondre aux deux questions que vous avez soumises à mon choix et qui en réalité n’en font qu’une. Elles sont au présent et convoquent les mêmes faits. Elles s’inscrivent sur l’environnement réel et interpellent les gens d’aujourd’hui.
Dans la quasi totalité des migrants, on trouve secrètement et solidement vissé l’objectif d’une vie meilleure.
C’est la cause maitresse de leur expatriation. Il s’agit en réalité davantage de recherche de moyens et de conditions favorables à la mise en valeur de dits moyens que de la volonté de s’installer loin de ses racines. Au gré des circonstances diverses, ces moyens et ces conditions sont trouvés. Restent les talents et l’aptitude à s’adapter qui vont rendre la mise en valeur plus ou moins difficile, plus ou moins acceptée, et pour finir, plus ou moins rentable en rapport à l’idée première que l’on se fait en quittant son pays. Il y a, pour ainsi dire, chez tous les migrants, un secret projet de retour au pays natal.
Pour celui qui est venu faire ses études, faut-il rentrer au pays ? Autrement dit, la question est-elle valable pour celui qui a acquis, comme moyen d’améliorer sa condition de vie, les études et les titres universitaires ? L’objectif secret susmentionné est-il aussi inscrit dans son programme ? La réponse évidemment est positive car l’expatriation qui ne peut être que provisoire n’est elle-même, en définitive, qu’un moyen parmi d’autres. Elle ne saurait être une fin sans perdre sa nature. Mais cette réponse appelle aujourd‘hui des précisions et des nuances. DE fait, nous sommes passés d’un monde bipolaire qui mettait face à face les peuples ou les pays « naturellement » investis de savoirs, maîtres des technologies et principaux bénéficiaires de toutes les avancées de l’intelligence créative et les peuples ou le monde défavorisé exclu de presque tout, sous entendu définitivement ou pour très longtemps, à une société ou un monde en très forte redistribution. La conception et la vision du monde bipolaire expliquent d’autres dérives qui se sont installées dans les esprits au point qu’il était- il y a encore quelques décennies- admis de penser que modernisation était synonyme d’occidentalisation, vie meilleure égale vie occidentale, progrès égal occident. Et pour pousser loin la caricature, et l’ineptie, on était rendu à considérer que la norme en tout et pour tous était occidentale. Ce monde là a vécu. La créativité par l’intelligence et la mise en œuvre des processus pour répondre aux exigences propres à chaque pays, à chaque société et à chaque environnement sont réelles partout. L’idée, par conséquent, de s’installer en occident à l’issue de ses études aujourd’hui est sinon un principe obsolète, du moins un démiurge, une fausse bonne idée. L’Afrique est désormais ouverte à toutes les technologies et sa contribution à l’inventivité est tant perceptible et incompressible qu’indispensable aussi bien à sa propre survie qu’à celle des autres continents et à l’équilibre planétaire dans le long terme. Les chantiers ouverts ou à ouvrir sur le continent recrutent des talents et il en faut bien plus que le nombre encore trop velléitaire et ou exceptionnel. Cela appelle de nouvelles manières de vivre, des comportements et des reflexes adaptés, des responsabilités nouvelles. Etre attendu, sur le terrain avec les moyens acquis, doit être considéré non comme un point de pression ou une contrainte mais comme un confort inestimable. Une telle situation prohibe toute hésitation, galvanise l’initiative, renverse les vieilles idées et propulse les hommes et les femmes au devant de nobles et exaltantes responsabilités. Ce qui est vrai pour de jeunes étudiants l’est tout autant pour des anciens dont je suis. Et pour rester dans le domaine du réel, il convient d’inviter solennellement chacun d’entre nous à découvrir, le temps d’une petite introspection, l’espace qui lui est réservé, quelle que soit sa situation à l’étranger (étudiant, cadre, ouvrier, ingénieur, expert, professeur, médecin, ecclésiastique, chômeur…), cet espace est immense. Pour chacun, il ne s’agit pas de virer dans une autre bipolarité qui va encore stérilement opposer. Il s’agit de se rendre compte que l’expérience accumulée, les compétences acquises, les frustrations endossées ou subies sont autant de ressources et de points de force peu ou mal exploités mais extrêmement utiles dans l’Afrique d’aujourd’hui. La meilleure manière, sinon le seul moyen de réussir notre coopération avec le monde réside dans l’implication massive et intelligente des Africains aux chantiers qui sont les leurs. Dans nos villages où nos ancêtres ont édifiés de gigantesques monuments philosophaux, on considère que
> « le bon chasseur est celui qui ramène le butin à la maison ».
Et voila que j’accède à la question du comment et quoi faire pour réussir ses études.
Pour beaucoup, réussir ses études renvoie encore, hélas, à obtenir des diplômes en grand nombre et dans des grades les plus élevés. Cela donne un titre, une voie et parfois une voix en mondanité. Etre appelé docteur, être désigné sous le titre d’ingénieur, ça flatte bien l’ego dans des pays ou des cercles broyeurs d’intelligence où il est plus important d’être un Monseigneur, un révérend, un son Excellence, un Très Honorable ou un sa Majesté qu’une femme ou un homme qui améliore, avec les moyens de son milieu, sans rien attendre de l’étranger, la qualité de l’habitat ou celle de l’eau.
Et si c’était une erreur!
Arrêtons-nous un instant, regardons autour de nous. Abstraction faite des « réussites » dues plus à la gymnastique corruptive qu’à la prestation compétitive, les chefs d’entreprise qui ont le plus évolué ne nous étonnent-ils pas ? Connaissez-vous quelques histoires de ceux qui ont révolutionné notre quotidien ? A quoi doivent-ils leur résultat ?
N’est-ce pas à leur aptitude à bâtir patiemment des projets cohérents, c’est dire intelligents, avec des objectifs réalistes et une détermination extraordinaire ? S’il n’y a pas de bon port pour celui qui n’a pas arrêté une destination, il n’y a pas d’études réussies pour celui qui n’y associe pas dès le départ un objectif collé le plus possible à la réalité de son environnement immédiat ou non. Un étudiant en agronomie file plus aisément vers la réussite s’il a comme objectif, clair par exemple, de trouver des sélections adaptées au climat ou à la composition de ses terres. Un juriste qui n’a fait que réciter les lois et les directives établies dans un contexte donné et lointain, qui ne vise pas à nourrir et à éclairer le champ juridique des réalités de son milieu et de son temps peut être regardé comme ennuyeux. C’est plutôt un bon lâche. Un biologiste complètement exclu de toute initiative lisible sur le monde des vivants peut être décevant. Un économiste, ça peut servir à créer ou à sauver des entreprises. Un abbé Pierre, a probablement mieux compris l’essence de ses études de théologie dans ses actions de réduction intelligente de la précarité sociale que tant de milliers de ses confrères reconnus par leur tenue particulière, docteurs, archiprêtres très attachés au titre et au lucre du « Monseigneur ».
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Vous l’aurez compris, pour réussir ses études, la priorité est d’assigner à celles-ci un objectif concret et si j’ose dire noble, c’est-à-dire fixé dans le temps et dans l‘espace et en rapport avec l’investissement intellectuel consenti.
** Les études universitaires n’étant qu’un moyen parmi
d’autres, elles doivent conduire à une contribution effective du savant ( celui qui sait lire et mettre l’empreinte sur le réel) au bien être de la société. La première des contributions est, si vous autorisez l’expression : « gagner son pain sans être à la charge de la société ». Et puisqu’on a étudié, c’est à dire investi un capital intellectuel conséquent dans une discipline précise, il est normal que le retour sur investissement soit attendu.
En peu de mots et en guise de conclusion provisoire, pour réussir ses études, l’étudiant africain ou d’ailleurs tout autre étudiant doit s’être équipé d’une valise dont le code secret est le même pour tous les migrants : un objectif clair et précis dès le départ. Faut-il rentrer en Afrique les études terminées ? C’est la condition ultime des études réussies.
Jacques Nkoa-Betené ,
Conférence organisée par l’association des étudiants africains de la région parisienne à Versailles 18 Avril 2015
Directeur du cabinet TMC