Une conversation critique sur Back To Africa de SIMO
Je me précipite, comme si je voulais à tout prix me plier à la loi du conformisme. Sur le quai du RER A, en direction de Marne-la-Vallée–Chessy, il me reste cinq minutes avant l’arrivée du train. Alors, pourquoi courir ? Mon subconscient, bienveillant ou complice, me souffle aussitôt une justification : « Tu aurais pu rater le train. Et même s’il ne vient que dans cinq minutes, c’est toujours du sport. Et le sport, c’est bon pour la santé. » Et si c’était une répétition pour attraper ce fameux train qui nous ramènera tous « Back to Africa » ?
Arrivé au Palais des Congrès de la Porte Maillot, je cherche l’entrée. Avec mes amis, on essaie d’abord de prendre l’ascenseur, sans succès. L’écologie sans doute, ça compte. Alors, nous nous rabattons sur l’escalator, que nous trouvons enfin, nous menant au deuxième étage. Après plusieurs interventions, des discours sur les masterclasses à n’en plus finir, je me tourne vers mon ami et lui dis : « Vu que tout le monde parle de masterclasses, il doit bien y en avoir des tonnes. Mais au final, on va assister à laquelle ? »
De toute façon, seul le masterclass de Bertin Tchoffo m’intéresse. Allons voir. Une fois sur place, surprise : on nous informe qu’il faut encore payer pour y assister. C’est là que la discussion s’enflamme. Serait-ce là une énième manifestation du capitalisme à l’américaine ? D’autant plus que le billet d’entrée à #BTA était déjà fixé à 500 euros. Je vais donc tenter de vous retranscrire ce débat animé. En tant qu’observateur, je vais essayer d’être le plus fidèle possible.
Tonja : (marchant de long en large, exaspérée) Sérieusement, ils nous prennent pour des imbéciles ! On débourse 300 euros juste pour l’entrée, puis encore 150 pour une masterclass ? C’est une véritable machine à cash quoi ! Chaque intervenant vient sur scène on dirait non pas pour partager ses expériences avec l’audience mais plutôt pour écouler ses produits, alors que nous avons déjà payé un prix d’entrée exorbitant. On se croirait dans un marché aux puces de la réussite, où l’on vend des rêves africains au plus offrant. C’est censé être un événement pour l’Afrique ou juste une gigantesque machine à fric ?
Meriem : (calmement) Tu oublies que tout ça doit bien être financé. Louer le Palais des Congrès à Paris, tu imagines combien ça coûte ? Philippe Simo ne reçoit aucune subvention, c’est l’événement lui-même qui finance tout.
Lisa : Mais quel est ton problème, Tonja ? Personne ne t’a forcée à venir. C’est un choix.
Tonja : (fronçant les sourcils) Ce que tu dis n’a aucun sens. Dire que venir ou ne pas venir est un choix suppose qu’il n’y a pas de gens qui auraient voulu venir mais qui n’ont pas pu à cause du prix exorbitant. C’est une logique capitaliste poussée à l’extrême, à l’américaine.
Meriem : Donc tu dis que venir ici n’était pas un choix ? Qui t’a forcée à venir ?
Tonja : C’est un choix dicté avant tout par ton compte en banque. Il y a des gens qui auraient aimé être ici, mais leur compte en banque a décidé pour eux. Quand tu dis que c’est un choix, tu te trompes complètement.
Lisa : Peut-être, mais même si Philippe avait mis les entrées à zéro euro et cherché des sponsors, certains Africains n’auraient toujours pas pu venir, prétextant qu’ils n’avaient pas le ticket de métro. Ceux qui ne veulent pas venir trouveront toujours une excuse.
Meriem : Philippe organise SON événement, il fixe les prix comme il l’entend. Il n’a pas de comptes à te rendre. Qui crois-tu être pour lui dicter quoi faire, un petit prétentieux ?
Tonja : Voilà, tu soulèves un point important : les sponsors. J’ai déjà assisté à de grands événements comme celui-ci, organisés au Palais des Congrès à Paris, dans des hôtels à Paris, à Villepinte, etc. Jamais je n’ai vu un prix d’entrée aussi exorbitant. Des billets à 20, 50 ou 100 euros restent accessibles pour la majorité, mais quand le ticket le moins cher commence à 300 euros, on est en droit de se demander : quelle est ta mission première ? Et d’ailleurs, c’est quoi la mission de Back To Africa ? Au moins, on connaissait celle de l’American Colonization Society, créée en 1817 avec pour objectif d’envoyer des Afro-Américains libres en Afrique comme alternative à leur émancipation aux États-Unis. En d’autres termes, les fondateurs pensaient que les Noirs « libres » ne pouvaient pas s’en sortir économiquement aux États-Unis. En 1822, cette société a commencé à coloniser ce qui est aujourd’hui le Liberia, sous l’idée que les Noirs auraient de meilleures chances de liberté et de prospérité en Afrique qu’aux États-Unis. Le pays a déclaré son indépendance en 1847, reconnue par les États-Unis en 1862, devenant ainsi la première nation africaine à obtenir son indépendance à l’époque moderne. 200 ans après, on se demande toujours : où en est ce « projet de prospérité » pour les Noirs libres ? Aujourd’hui, Back to Africa semble reprendre ce même discours, mais avec un habillage plus moderne. On nous vend le rêve d’un retour aux sources, mais en réalité, c’est un business comme un autre. L’idée d’un retour en Afrique, souvent associée à l’émancipation et à la reconquête de nos racines, est ici instrumentalisée à des fins commerciales. Et d’ailleurs, pourquoi il n’y a aucun blanc dans la salle ? L’Afrique n’a-t-elle pas des enfants “blancs” aussi ?
Lisa : Tu fais des amalgames, mon cher. Comment peux-tu comparer Back To Africa au soi-disant projet de prospérité de l’American Colonization Society ? Ça n’a aucun sens. D’abord, Back To Africa est un projet porté par des Africains pour les Africains, bien sûr, et non par un blanc condescendant comme le révérend Robert Finley, qui croyait savoir ce qui était mieux pour les Noirs. De plus, selon ses statuts, Investir au Pays, et par extension Back To Africa, a pour objet « le commerce en ligne de diverses formations, le coaching pour les particuliers et professionnels en France et à l’étranger, la réalisation de projets en Afrique, la prestation de conférencier international, ainsi que les investissements et prises de participation dans diverses sociétés en France et à l’étranger. » Ce n’est donc pas une association ou une organisation caritative. Et d’ailleurs, on en a marre de l’assistanat avec l’AFD. Les Africains doivent prouver qu’ils sont capables de réaliser de grandes choses par eux-mêmes.
Meriem : Franchement, ta comparaison est absurde et choquante. Comment peux-tu assimiler Back To Africa à de l’esclavage ? Tu insinues que Back To Africa est une forme de néo-esclavagisme ? Absolument pas ! Back To Africa contribue aussi à changer l’image de l’Afrique. Organiser un événement au Palais des Congrès à Paris, ce n’est pas donné à tout le monde. Et quand tu réussis à attirer plus de 4 000 participants, au lieu de féliciter l’initiative, tu viens ici la critiquer. Pourquoi tu n’organises pas toi-même un événement gratuit ? Prenons le problème des taux d’intérêt. Comment est-ce acceptable qu’un entrepreneur comme Bertin Tchoffo emprunte à un taux de 10 % au Cameroun, alors qu’en Europe il pourrait obtenir un taux de 3 % ? On nous dit que le marché africain est plus risqué que les marchés européens ou américains, mais pour quelqu’un qui n’a jamais eu de problèmes de solvabilité, pourquoi les prêts sont-ils toujours aussi chers en Afrique ? C’est justement à travers des événements comme Back To Africa qu’on peut s’organiser et créer un environnement économique plus juste sur le continent.
Tonja : « Correcte et juste », c’est bien ce que tu dis. Mais est-ce que tu trouves que la manière dont tout est monétisé à des prix exorbitants chez Back To Africa est « correcte et juste » ? Je me demande pourquoi cette situation me dérange autant, mais je crois avoir trouvé la réponse : c’est la manière dont l’événement est « commercialisé » par Investir au Pays. On a l’impression que c’est pour améliorer l’image de l’Afrique, montrer que l’Afrique mérite mieux que la perception qu’on en a aujourd’hui, mais en réalité, c’est avant tout un business, un modèle à l’américaine avec un homme qui rêve de s’offrir une voiture à 100 000 dollars. Ils se moquent de nous. Ce qui les intéresse avant tout, c’est l’argent. Sinon, pourquoi ne sont-ils pas transparents avec la communauté ? Qu’ils publient les comptes ! Je suis sûr que leurs marges sur cet événement frôlent les 1000 %. Et parlons du contenu : est-ce que ce qu’ils proposent vaut vraiment ce prix ? Pour organiser un tel événement, quel est à ton avis le poste de dépense le plus important ?
Lisa : (impatiente) Et même si c’était le cas, personne ne t’a forcé à venir ici. Les 5 000 personnes présentes trouvent un intérêt à l’événement, sinon elles ne seraient pas là.
Tonja : (sourire en coin) Ah, toujours cet argument. « Personne ne m’a obligé. » Mais pourquoi ne pas être transparent si tout est si légitime ? Apparemment, VIPARIS aurait facturé aux exposants le kWh à 500 euros pour les deux jours. Tu y crois à ce mensonge ? Pourquoi les journalistes africains ne sont-ils pas là ? Parce qu’ils demandent à être payés, c’est ça le problème ? Tout le monde fait du business ici, alors pourquoi eux devraient-ils couvrir gratuitement un événement aussi cher ? C’est de la pure hypocrisie.
Lisa : Je ne sais pas. Et toi, tu penses que c’est quoi ? De toute façon, personne ne t’a obligé à venir ici. Donc, si tu n’apprécies pas, personne ne t’a forcé à être là. Et tu parles de rapport qualité/prix, mais comment veux-tu l’évaluer ? Moi, je te dis que c’est la troisième édition, et il y avait plus de monde que les deux précédentes. Donc, on peut en conclure que les 5 000 personnes présentes y trouvent un intérêt. Sinon, elles ne viendraient pas, et encore moins pour payer aussi cher, contrairement à ce que tu veux nous faire croire. Vous, les Africains, vous êtes toujours comme ça : à critiquer le travail de vos frères. Voilà pourquoi l’Afrique reste pauvre, parce que nous ne sommes pas solidaires. Ce genre d’événement mérite même de passer sur BFM Business, TF1, et toutes les chaînes et radios francophones du continent. Pourquoi pas même au-delà de la francophonie ? Mais combien de journalistes sont là aujourd’hui ? Philippe SIMO a même dit que les journalistes africains demandent à être payés pour couvrir l’événement. Tu imagines ? C’est vraiment déplorable.
Tonja : Ah non, comment t’appelles-tu ? tu reviens encore avec cette absurdité que personne ne m’a obligé à venir ici. Tu commences sérieusement à m’agacer. Tu crois que le journalisme, c’est de la charité ? Philippe SIMO a décidé de monétiser son événement à l’extrême, donc il est normal que les journalistes demandent à être payés pour couvrir l’événement. Tout le monde fait du business, ma chère. Philippe pense quoi ? Que des journalistes vont couvrir son événement à 1 000 euros l’entrée, et en plus lui faire de la publicité gratuitement ? S’il organise un événement à Villepinte avec entrée gratuite et des sponsors, tu verras combien de journalistes se précipitent. Quand tu adoptes une logique capitaliste, ne sois pas surpris que tes interlocuteurs fassent de même. Il faut vraiment être cons pour ne pas comprendre ça. D’ailleurs, pour rater le bac plusieurs fois, il doit y avoir une raison derrière. Supposons que la location du Palais des Congrès coûte 100 000 euros. Avec des billets à 500 euros, il lui faut à peine 201 personnes pour commencer à rentabiliser. Donc, cette histoire que Philippe SIMO nous raconte, comme quoi c’est très cher d’organiser cet événement, c’est du pipeau. Il ne faut pas qu’il nous prenne pour des idiots.
Lisa : D’abord, tu dis que la salle coûte 100k, et tu prends ça pour l’évangile selon Saint Tonja, alors que tu ne sais même pas combien elle coûte réellement. As-tu pensé aux intervenants et à toute la logistique autour ? Tu serais surprise d’apprendre que cette partie représente probablement la plus grosse part des dépenses.
Tonja : Oui, tu as raison sur ce point, mais ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, s’il te plaît. J’ai pris une hypothèse. Si Philippe SIMO nous donnait les vrais chiffres, je n’aurais pas besoin de faire des hypothèses. Tu sais quand même ce qu’on appelle une hypothèse, non ? Maintenant, concernant les intervenants, il n’est même pas obligé de les payer. Si les intervenants sont payés, c’est parce que l’événement est avant tout une affaire de business, donc c’est normal que quelqu’un comme Bertin Tchoffo demande à être rémunéré. Autrement, ils devraient venir partager leurs expériences gratuitement. Investir au Pays devait juste prendre en charge leur hébergement, leur transport et leur nourriture. Une fois de plus, c’est comme l’histoire des journalistes. Ne sois pas surprise s’il a payé quelqu’un comme Stanislas Zézé 50 000 euros pour nous dire de construire un immeuble sur 30 ans, sans jamais emprunter d’argent. Ou avec ses conseils bidons du genre « ne prends pas de crédit si ça te coûte plus que ça ne te rapporte ». Mais qui ne sait pas ça déjà ? Le bac c’est quelque chose hein.
Meriem : Avec tout ce que tu racontes, on dirait que tu n’aimes pas Back To Africa. Toi, tu as quoi de mieux à proposer ?
Tonja : Tu es sérieux là ? Prenons le programme de plus près. Dans le grand amphithéâtre, chaque intervenant vient non pas pour nous transmettre leur savoir sans filtre, mais clairement pour vendre leurs masterclasses. Et puis, l’immobilier a pris plus de 50% des interventions. Franchement, l’investissement dans l’immobilier, c’est dépassé, c’est l’ancienne technologie. On est à l’ère de l’intelligence artificielle, de la nouvelle technologie. Regarde les 100 personnes les plus riches du monde : combien ont fait fortune grâce à l’immobilier ? Aucun ! Sans doute, comme ces pasteurs évangélistes en Afrique, demain Philippe nous dira que son rêve a toujours été d’avoir un jet privé, et il nous fera une vidéo pour nous montrer son jet. Pourquoi pas, mais franchement, on peut faire bien mieux que ça.
Lisa : Tu parles, tu parles, mais tu n’as toujours pas dit ce que tu proposes. Si tu savais déjà tout ça, pourquoi tu n’organises pas l’événement à ta manière, comme tu penses que ce serait mieux ? Toujours critiquer sans rien proposer. Vraiment, l’Africain !
Tonja : Écoute, si tu veux savoir ce que je propose, je te dirai ça une autre fois. Mais pour l’instant, je dois y aller. Demain, je ne serai pas là, je suivrai l’événement depuis chez moi. Les seules personnes vraiment intéressantes étaient Bertin Tchoffo et Marthe Carine, mais apparemment, pour obtenir l’intégralité de leurs retours d’expérience, il faut encore payer leurs masterclasses. Tu me demandais pourquoi les gens continuaient de venir malgré tout ? Va demander aux Parisiens pourquoi ils courent encore pour attraper un métro alors qu’il y en a toutes les deux minutes. Le jour où tu comprendras ça, tu comprendras aussi pourquoi les églises en Afrique sont pleines à craquer alors que la corruption y est endémique. C’est le paradoxe. On continuera cette discussion une autre fois.
Meriem : Je viens de regarder les prix de VivaTech, un événement tech planétaire sur 4 jours, et les tickets commencent à 160 euros pour les startups, 350 euros pour le grand public, et 430 euros pour les investisseurs. Comparé à ça, sachant que Back To Africa dure seulement deux jours, mettre un prix d’entrée qui commence à 80 euros ne serait pas si déraisonnable que ça. En plus, dans ce genre d’événement, les masterclasses ou les sessions « breakout » devraient être gratuites une fois que tu as payé ton billet d’entrée. Franchement, il faudrait se poser la question : est-ce que Philippe SIMO est en course pour un jet privé, comme Johnson Suleman, ou travaille-t-il vraiment pour un métro plus grand, pour un transport de masse ? Il faut qu’on lui fasse des propositions concrètes.
Observateur : En quittant le Palais des Congrès, je suis partagé. D’un côté, je ne peux m’empêcher de féliciter Philippe pour le travail accompli jusqu’ici : la mobilisation et la sensibilisation sont impressionnantes. Mais d’un autre côté, je pense que Tonja soulève de vrais questions. Philippe doit se poser une question fondamentale : quelle est la mission première de Back To Africa ? Est-ce une machine à cash ou un projet pour éveiller la conscience de la diaspora sur les opportunités en Afrique ? Une fois cette question éclaircie, la stratégie de tarification devrait naturellement s’aligner. Et certainement, les Africains et les amis de l’Afrique n’auront plus d’excuses, car le ticket du métro sera enfin à leur portée.
Je suis l’observateur.
Efuet Atem
Ingénieur, auteur de Souriant dans les épreuves,
Fondateur de World like Home.
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